Patrimoine architectural en danger

60.7 photo Patrimoine_fmtÀ l’occasion de notre assemblée générale le 28 mai dernier, Paul Smith, chercheur à la direction générale des patrimoines, ministère de la culture et de la communication, et Antoine Monnet, président de l’association La Fabrique, intervenaient sur le thème du patrimoine industriel local, une espèce en grave danger de disparition.

À l’heure où l’usine Gaupillat vient d’être détruite (voir nos Lettres précédentes), le sujet nous paraît d’importance. Le paysage alto-séquanais, notamment sur les bords de Seine, a déjà vu l’effacement de l’usine de la firme automobile Clément-Bayard à Levallois-Perret, en 1988, et celui du paquebot Renault sur l’île Seguin, en 2004, pour ne citer que quelques-uns des sites, parmi les plus prestigieux. Avec tous ces édifices disparaissaient la possibilité d’incarner une période fondatrice de la vie moderne dans des lieux emblématiques, ainsi que la mémoire des activités qui y étaient développées, celle du labeur des hommes et des femmes qui y avaient œuvré. Si une centaine d’établissements étaient encore en place en 1997, selon Hélène Jantzen dans « 1860-1960 : Cent ans de patrimoine industriel des Hauts de Seine »*, Antoine Monnet estime qu’« environ 90 % des bâtiments industriels des Hauts-de-Seine ont été rasés au cours des vingt dernières années ». Comme le dit Paul Smith, « supprimer toutes les architectures industrielles pour faire croire qu’il n’y a que des résidences royales dans le 92, cela revient à censurer l’histoire ».

Politique patrimoniale

Certes un lieu de mémoire Renault, que nous avons appelé de nos vœux dans toutes les instances de concertation, devrait ouvrir ce mois-ci sur l’île Seguin. Mais il eût été plus intéressant que le contenu rencontre le contenant, ici comme ailleurs.

Pourtant une politique d’inventaire systématique du patrimoine industriel français a été mise en place depuis 1983 en réponse à une demande sociale forte. Cette patrimonialisation de l’architecture industrielle peut jouer un rôle important dans les politiques de développement local à travers des projets de réhabilitation ou de reconversion d’anciens sites de production.

Reconversion urbaine

Car c’est sans doute là que réside l’avenir des édifices industriels, dans leur rôle d’équipement au sein du réaménagement territorial, ferment de redynamisation urbaine de par leurs espaces disponibles de belle envergure, et leur ancrage dans le paysage social local. Ainsi en témoignent les grands moulins de Pantin, à vocation tertiaire prédominante, et, plus près de nous, l’ancienne manufacture des tabacs d’Issy-les-Moulineaux, reconvertie en 1989 en logements, bureaux et commerces.

La ville aujourd’hui se reconstruit sur la ville, elle réemploie, combine, transforme, réinvente les strates déjà construites : le manque de parcelles disponibles en est une des raisons, mais surtout la prise de conscience que le fantasme d’une création ex nihilo a fait long feu, et que l’avenir urbain sera composite, pluriel, tout en étant innovant, ou ne sera pas.

Quel patrimoine pour demain ?

Le Val de Seine était riche de ce substrat, son petit patrimoine industriel a presque totalement disparu : combien de blanchisseries détruites, d’estacades le long de la Seine, de cheminées de fabriques, ou autres édicules souvent qualifiés de mineurs, ont été détruits… Ainsi l’ex-cinéma Le Royal, à Boulogne-Billancourt, qui avait accompagné l’essor de l’industrie cinématographique dans cette ville, connaîtra le même destin funeste dans les prochains jours.

Il reste encore dans les Hauts-de-Seine une très belle opportunité de transformation d’un site industriel : l’usine des anciennes Papeteries de la Seine, à Nanterre, démantelées en mars dernier, déploie sa salle des machines, ses ateliers de fabrication, ses pavillons ouvriers et sa station d’épuration sur 17 ha en bordure de Seine. Ce serait une hérésie économique et environnementale que de la vouer à destruction.

Anne-Claire Gadenne

* Images du Patrimoine n° 163, édité par l’APPIF et le Conseil général des Hauts-de-Seine, 1997

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