Une infrastructure de transport dessine une agglomération à l’échelle du siècle. Si dans un premier temps elle peut apparaître comme la réponse au besoin du moment, en fait elle projette sa logique propre dans l’avenir.
La ligne rouge du Grand Paris Express consacre deux ségrégations. Le modèle des années 60 sépare territorialement l’emploi et la résidence. Il génère des transports pendulaires, et la spéculation foncière aidant, les travailleurs les plus modestes résident à une heure – en moyenne – de leur lieu de travail. La deuxième ségrégation est sociale, ceux d’en bas viendront du Val de Marne en transport en commun, ceux du haut viendront de l’ouest par l’autoroute payante.
Les deux populations continueront à s’étendre sur les terres fertiles de l’île de France, alors que la pénurie alimentaire pointe. L’extension Est de la ligne rouge va aggraver cette tendance.
Fulgence Bienvenue (créateur du métro parisien) avait très vite compris qu’il ne fallait pas dépasser trois lignes de métro en une station, sous peine d’avoir à rallonger les couloirs, et les temps de commutation. La ligne rouge s’ajoute dans un inextricable fouillis, dans un sous-sol saturé sous la dalle de la Défense. Une logique d’aménagement aurait voulu la décaler à l’ouest, mais les choix sont probablement faits par des gens qui prennent rarement les transports en commun.
Il y a bien des urgences de transport en Île de France, il est donc tout à fait surprenant que la priorité ait été donnée à un doublement souterrain de la fonction assurée par le T2. Face à la saturation de la ligne RER B, et de la ligne de métro 13, la ligne bleue apparaissait d’une urgence plus grande, pour un coût moindre.
Il y a aussi le RER C. Le record du monde du nombre de stations pour une ligne urbaine a des conséquences dramatiques sur la propagation des incidents. Avec 86 gares, il faut supposer une fiabilité de 99,9 % autour de chacune pour obtenir une disponibilité de… 92 % de l’ensemble. C’est de la mathématique simple. Tous les spécialistes savent qu’il faudrait doubler le segment central Javel-Choisy, et séparer l’ensemble en deux. C’est faisable pour pas cher en réutilisant la branche sud de la petite ceinture, mais ça génère beaucoup moins de profits que le creusement d’un tunnel pour doubler le T2. En cette période de vaches maigres, l’arbitrage retenu est ubuesque.
Localement le tracé de la ligne rouge évite soigneusement les lignes de métro 10 et 12, dont la connexion est remise aux calendes grecques, mais elle traverse deux fois la Seine pour irriguer les projets immobiliers du maire de Boulogne-Billancourt.
Tout le processus Grand Paris renvoie à une conception politique qui date du second empire. Au lieu de confier le contrôle au niveau institutionnel compétent – la région – on le confie à une société sans légitimité démocratique, dont rien ne garantit qu’elle se conformera à l’intérêt général. En fait les premières décisions indiquent fortement le contraire.
Jean Borsenberger