Quelle histoire pour « l’Ile Seguin » ?

L’élaboration d’un lieu de mémoire de l’histoire ouvrière du site de Boulogne-Billancourt est un des objectifs principaux des travaux du comité de suivi de l’aménagement de l’Ile Seguin, auquel Val de Seine vert participe.

colloque Mai 68 + 1, Le passé, le présent, l'avenir de l'île Seguin le 13 mai 2019

colloque Mai 68 + 1, Le passé, le présent, l’avenir de l’île Seguin
le 13 mai 2019

 Le président du comité de suivi, Pierre Gaborit, a mené une réflexion déjà assez aboutie sur ce qui pourrait être fait. La question principale n’étant pas d’avoir des idées mais de trouver à les financer. Dans ce domaine, la mairie de Boulogne-Billancourt avait, il y a deux ans, argumenté que cette responsabilité était celle de Renault. L’entreprise pour sa part, travaille à l’histoire de sa marque.

 Au départ de Renault, deux associations d’ancien salariés ont vu le jour, l’une d’un profil « anciens cadres » et l’autre d’un profil « ouvriers ». Atris (Association des Anciens Travailleurs de Renault Billancourt Île Seguin) et Ametis (Association de la Maîtrise, de l’Encadrement et des Techniciens de l’Île Seguin). Elles participent aux réflexions menées et concourent ponctuellement à l’animation du pavillon des projets assez souvent en association avec Renault-Histoire. L’entreprise Renault soutient l’association Renault-Histoire qui est implantée à Boulogne-Billancourt dans des locaux vastes et fonctionnels fournis par l’entreprise. C’est une association loi 1901, puissante, dont les ressources principales dépendent du constructeur. Elle est formée d’anciens salariés dévoués à leur entreprise. Nombre de bénévoles y participent à l’archivage et l’exploitation des nombreux fonds documentaires qui lui parviennent. Il y a un conseil scientifique étoffé soutenu par une dynamique indéniable, que démontre la somme importante de conférences, débats, expositions mises en œuvre. L’association dit compter 1300 adhérents, ce qui est compréhensible quand on se souvient du nombre de travailleurs de Renault. Elle édite plusieurs revues et dispose d’un site internet fourni.

 La mémoire ouvrière

Il est sans doute compliqué de travailler l’histoire des conflits, des conditions de travail, de la façon dont la main d’œuvre était recrutée, encadrée, de la répression syndicale. Cette usine était la plus politisée de France. Elle offrait aussi un miroir des batailles politiques de la gauche dans ce qui était considéré comme un bastion du parti communiste français. C’est bien l’ambiguïté du « lieu de mémoire » prévu dans le périmètre de l’Ile. Le trapèze et l’Ile Seguin ne sont pas, plus, la propriété de Renault et de son histoire. L’histoire du site est aussi celle de la Ville et de ses voisines. Boulogne-Billancourt pourra réfléchir et expliquer pourquoi elle s’est transformée en ville de CSP++ alors qu’elle disposait de centaines d’hectares de terrains industriels qui ont été désertés dès le début des années 50 et que le souvenir c’est aussi l’expulsion forcée des travailleurs ouvriers vers d’autres communes riveraines. Pour mémoire Sèvres entre 1962 et 1967 a construit 468 logements sociaux, Meudon 4660, Boulogne 315 logements sociaux et près de 4500 logements non économiques. Billancourt était le quartier de la misère, des garnis et de la surexploitation des ouvriers sans que cela ait beaucoup ému les diverses municipalités socialistes et conservatrices qui se sont succédées.

 À la fin des années 1960, Renault compte sur le site de la plus grande usine de France 36 000 employés dont 12 000 immigrés. Cette main d’œuvre exclusivement composée d’OS est le plus souvent ignorée de tout travail mémoriel. S‘agit-il de célébrer la saga Renault en tant que marque, parcours industriel et commercial et histoire des modèles, ou/et bien des destinées des dizaines de milliers d’ouvriers, pour beaucoup immigrés, qui ont fait vivre l’entreprise, sans occulter ce que devait être une usine automobile au XXème siècle.

 Renault-Billancourt a été une forteresse ouvrière qui a irrigué la France entière. Il ne faudrait pas que le symbole des luttes sociales devienne une photo sépia vintage qui s’accorde harmonieusement au développement high tech du quartier.

Frédéric Puzin

Le trapèze et l’Ile Seguin ne sont pas, plus, la propriété de Renault et de son histoire.

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